2003, j’habite Marseille.
Je suis jeune papa de Dorian qui a 2 ans, et développeur.
Je glande au travail, je fume, je m’ennuie. Je discute sur Caramail avec mes potes d’Everquest, mon jeu vidéo de l’époque. J’ai découvert l’hypnose 2 ans plus tôt, je trouve ça débile et fascinant à la fois, mais je n’en fais rien à part lire quelques livres.
Un matin, je me regarde dans la glace et me dis « T’es qu’un con ».
6 mois plus tard, j’ai arrêté de fumer tout en perdant 12kg. Au travail, je fais en 15 jours ce qui me prenait 3 mois avant, mon chef est aux anges. Je suis heureux, la vie est simple et agréable.
Et puis un jour c’est parti.
Aujourd’hui, je suis bien dans ma vie, j’aime ce que je fais, mais il y avait dans cette période un truc particulier. C’est la sensation de bonheur et de paix la plus forte que j’ai connue et c’est toujours celle qui revient quand j’évoque les moments où j’ai été vraiment heureux.
Je me suis longtemps demandé ce qui avait créé ce sentiment de paix et de simplicité.
J’ai étudié les mécanismes du bonheur et du bien-être, j’ai suivi des centaines d’heures de formations sur ces sujets, sans réussir à trouver ce qui avait changé à cette époque.
Hier, j’ai commencé à écrire sur la simplicité, et ces souvenirs sont revenus. J’ai laissé les mots s’écrire, ce qui m’a permis de trouver ce qu’il y avait de différent.
J’avais accepté l’idée de n’être personne.
J’avais accepté l’idée d’avoir une vie simple, de faire ma routine, de rigoler avec mes collègues, de profiter de la vie et de jouer aux jeux vidéos avec mes amis. J’avais abandonné l’idée d’être un « bon joueur » ou d’être mieux qu’un simple développeur parmi 80 autres.
Personne. Certains trouveront ça moche, triste ou cynique. Je trouve ça libérateur.
Ce « personne » exprime la fin d’une quête de devenir quelqu’un d’autre que ce que je suis. Un « personne » qui fait avec ce qui est, qui vit jour après jour et trouve de la joie dans des choses simples, même chiantes. Un « personne » qui met fin à une quête de sens inutile : la fin de la recherche d’un sens à la vie, la fin d’une recherche de mission, de place.
« Je ne suis personne ».
J’avais déjà vu le concept. Je l’avais déjà effleuré. Mais il se perdait, il échappait à son intégration en moi. Il me taquinait, il venait, me touchait et s’en allait, et se faisait oublier.
Pourquoi ?
Parce que pour être formateur, il faut être quelqu’un ? Parce qu’il faut être reconnu et compétent ? Parce que si je suis thérapeute, je dois pouvoir montrer que je suis bien ? Parce que pour avoir des clients, je dois être quelqu’un ?
Bla bla bla. Ça a l’air vrai, mais ça en a juste l’air. C’est du bullshit.
C’est surtout parce que j’aime le sentiment que me procure l’illusion d’être quelqu’un.
J’aime la reconnaissance, l’attention, les likes, les commentaires. J’aime être un mentor, un guide, un thérapeute. J’aime savoir que je suis utile et que j’aide les gens. J’aime quand je sais des choses que d’autres ne savent pas, j’aime quand je peux pointer les erreurs de raisonnement chez les autres. Tout ça me donne l’impression d’être quelqu’un.
C’est tellement ridicule. On dirait un enfant de 4 ans. Moi qui pensais avoir évolué avec toutes ces années de travail personnel. À se demander à quoi servent toutes ces conneries.
« Trop intelligent pour être heureux » dirait Jeanne Siaud-Facchin, « Trop con pour rester simple » serait sans doute plus juste, allez savoir.
Est-ce pour ça que je suis un loup solitaire ?
Que je cherche à exister seul plutôt qu’au milieu des autres ? Pour éviter ce qui me pousse à être dans la représentation de quelqu’un ? Ce quelqu’un qui m’horrifie et me fascine à la fois ? Je ne sais pas. Sans doute un peu de tout ça.
Une émotion m’envahit toujours devant certains films, livres ou séries : l‘émotion du héros malgré lui.
Celle de l’humilité d’être un héros en n’étant personne. Ce héros qui fait les choses pour la réussite morale et personnelle, pour quelque chose de sacré, pas pour la gloire et la reconnaissance. Ce héros qu’on ne voit pas mais qui reste dans les mémoires, et qui n’a que faire d’y rester.
Je rêve de pouvoir atteindre un jour ce modèle du héros qui fait les choses par pure intégrité personnelle et qui n’attend rien des autres. Ce héros qui ne veut pas être un leader, qui ne veut être personne, qui a accepté ce qu’il est, qui vit au jour le jour. C’est ce qui le rend si fort. C’est ce qui a fait aimer à beaucoup de gens Forrest Gump, c’est ce qui me fait adorer Coach & Tami Taylor et Aragorn.
C’est beau. C’est juste. C’est inspirant. C’est l’humain dans toute sa splendeur.
Si je n’aime pas les gens, je suis dingue amoureux de cette humanité.
Puis j’oublie.
Je me mets à vivre dans une attention à l’avis – à la vie – des autres, au jugement, à la reconnaissance et je deviens l’esclave d’un maître sans visage, l’esclave de faux modèles, de fausses conceptions de la réussite.
On fait tous l’expérience du monde comme si nous étions au centre de la réalité. On vit dans l’illusion de l’importance. On s’enfonce dans l’idée que nous sommes spéciaux, que nous sommes différents.
Tout le monde se pense différent, ça nous rend tellement communs.
Le moyen le plus sûr de ne pas être comblé est de se promener comme si on occupait une sorte de position privilégiée dans l’univers. Cette position qui nous ferait croire qu’on aurait le droit à un traitement spécial.
C’est une illusion fausse et nuisible qui néglige les avantages de n’être personne.
N’être personne permet d’expérimenter et d’apprécier la profondeur du sublime.
Ce sublime que je ressens quand je regarde les étoiles, quand je suis face à l’immensité de l’univers ou des montagnes.
Ce sublime de la nature qui me rappelle que je ne suis rien…et tout à la fois.
C’est enivrant.
Je reste là, des heures face au vide et à l’absence de moi.
Ce vide qui me fait tourner la tête et qui me ramène à la paix et à la simplicité quand je prends le temps de l’observer. Moi qui essaye depuis si longtemps de le combler de futile, d’inutile et de masques.
Pour connaître ce sublime, je suis obligé d’accepter un certain degré d’infériorité. Sans infériorité, il est impossible de me connecter à quelque chose de plus grand. Je recherche le sublime et l’extase sans accepter la vulnérabilité et je me retrouve prisonnier de la peur.
Je veux retrouver cette simplicité de n’être personne, de faire avec ce qui est là et de laisser l’inspiration s’installer depuis le banal, le vide, le vrai et le simple.
Écrire m’y aide.
Le chemin est encore long.
Mais un jour, j’en suis sûr, mon nom sera à nouveau « personne ».