16 ans, cours de français, on nous donne La Peste de Camus à lire.
Je range le livre dans un coin, le français du lycée, ça ne me fait pas vibrer des masses.
Je lis Tolkien, Asimov, Herbert, Moorcock, Eddings et les règles de Donjons & Dragons.
Et à force, arrive le moment où il ne me reste qu’un weekend pour rendre le devoir…
Je me décide à ouvrir La Peste.
Je ne le refermerai qu’après l’avoir terminé.
Puis j’ai pris mon stylo, sorti quelques feuilles et j’ai écrit :
« Mon Premier Roman ».
Puis une phrase.
Puis une autre.
Puis…
…une voix m’a dit “c’est nul, tu n’y arriveras jamais, laisses tomber”.
J’ai écouté.
J’ai tout jeté à la poubelle et je suis retourné me coucher.
Écrire était et restera un rêve de jeunesse.
15 ans plus tard, j’ai publié des dizaines de milliers de messages sur des forums. Des guides, presque des livres, sur certains jeux vidéos, des pavés sur pleins de forums différents et de longues histoires dignes des plus grands romans d’aventures pour les jeux de rôles dont j’étais le maitre du jeu.
Encore 10 ans plus tard, j’ai sans doute publié en cumulé l’équivalent de plusieurs livres sur les réseaux sociaux et mon site.
J’ai écrit des centaines de pages pour mon évolution personnelle.
Écrire a propulsé mon activité de praticien en hypnose puis de formateur.
Écrire m’a sous doute aidé plus que n’importe quels thérapeutes ou coachs.
Et pourtant, je n’ai jamais eu l’impression d’écrire.
Je n’ai pas non plus publié de livre.
Longtemps j’ai cru que c’était de la peur, de la flemme, ou tout ce que j’ai pu trouver de négatif à me raconter.
Si c’était en partie vrai, je sentais qu’il manquait quelque chose.
Et j’ai fini par comprendre le problème.
Écrire – vraiment – est un acte sacré.
Écrire c’est oser rentrer dans le panthéon de celles et ceux qui laissent encore leur empreinte des centaines d’années après, de celles et ceux qui parlent à l’humanité à travers le temps et l’espace, de celles et ceux qui ont la magie des mots et des histoires.
Tout ce que j’avais pu publier n’était pas “écrire”, c’était une ombre de l’écriture, du gribouillage.
J’ai lu tellement de livres qui tiendraient en quelques lignes ou dans un article de blog que j’y vois comme un manque de respect pour le lecteur, mais surtout pour l’écriture.
Pour moi, c’est comme un blasphème.
Et je ne peux pas faire ça.
Qui suis-je pour approcher le sacré ?
Qui suis-je pour abimer la noblesse de l’écriture avec mon incompétence et mon ignorance ?
Le paradoxe est drôle, ce qui me bloque pour écrire est ce j’admire le plus : l’écriture.
L’écriture est intouchable, sa place est celle de l’admiration.
Je suis devenu un adepte d’un gourou invisible et de son pouvoir sur le monde.
L’écriture est un acte de révolution.
L’écriture change le peuple, touche la masse, l’éduque et la manipule.
L’écriture crée des religions, des guerres et des conflits.
L’écriture fait et refait l’histoire.
L’écriture est à la base de toute découverte, de toute création, de tout art.
Et j’ai compris ce qui paraît évident quand je l’écris ici parce que j’ai fait le chemin, mais je cherchais au mauvais endroit.
Ça n’est pas l’écriture qui est sacrée, c’est le fait de toucher les gens à travers le temps et l’espace qui me fascine.
Ce qui porte la puissance, ce sont les idées et leur impact.
Beaucoup d’artisans connectaient leur art à une relation divine.
Ils en parlaient avec déférence, comme d’une divinité.
Leur art était au service de Dieu.
Écrire pour moi, c’est une recherche de Dieu
Carson McCullers
C’est l’acte de servir une mission qui forme la noblesse de l’art.
C’est l’art d’exprimer et de toucher au travers du temps et de l’espace qui est divin.
Cette prise de conscience a transformé mon rapport à l’écriture et à ce que je fais aujourd’hui.
Et si je partage ça ici aujourd’hui avec vous, c’est que je crois qu’on ne cherche pas toujours au bon endroit ce qui nous limite, nous fait procrastiner ou ne pas oser.
On cherche du négatif, des limites, de l’ombre, de la peur et des doutes.
Alors qu’on pourrait chercher le divin, le sacré et la noblesse.
Que parfois la peur de ne pas être à la hauteur n’est pas parce qu’on se sent nul, mais parce qu’on respecte quelque chose de beau, d’important et de sacré.
Et qu’on peut en devenir l’humble serviteur au lieu d’avoir peur de sa puissance.
Et que ne rien faire et ne rien accomplir serait le pire des blasphèmes.
On peut aisément pardonner à l’enfant qui a peur de l’obscurité; la vraie tragédie de la vie, c’est lorsque les Hommes ont peur de la lumière.
Platon