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Cette semaine, j’étais en Italie, mais pas vraiment pour les vacances.

Si tu me suis depuis un moment, tu sais peut-être qu’il y a 2 ans, ma femme s’est fait percuter par une voiture en Italie pendant nos vacances. 

Prise de dos à près de 50 km/h par une jeune conductrice qui n’a même pas freiné, elle n’a rien vu venir. Mon fils, lui, a eu une petite fracture, mais il a cru que sa mère était morte sur le coup.

Un mois et demi à l’hôpital, plus d’un an de convalescence, mais elle a eu de la chance. Elle aurait pu y rester ou finir en fauteuil, mais non. 

Elle marche et « ça va ».

Une période pas facile, mais “ça va”. 

Je dis souvent ça d’ailleurs « ça va ».

J’ai tellement accompagné de souffrances que je relativise toujours à ce que d’autres vivent ou ont vécu de bien pire. 

Alors à côté de tout ça, tout ce qu’on traverse « ça va ». 

Et encore plus quand des histoires horribles à des personnes très proches…

Taire sa souffrance avec des « ça va », une solution comme une autre.

Mais je crois que c’est idiot. 

Ça m’enlève une part de droit à ma souffrance. 

Je l’intériorise, je souffre en silence, j’ai peur et mal de l’intérieur, et mon corps compense.

Bref.

Cette semaine, nous avions rendez-vous avec le médecin expert italien pour l’examen des séquelles dans le cadre du procès en cours depuis presque 2 ans (et si tu trouves la justice française lente, essaye l’italienne).

Le rendez-vous a duré 2 heures.

Le médecin et son assistante ont été très professionnels. On craignait de tomber sur quelqu’un qui minimiserait les séquelles, mais pas du tout. C’était même plutôt l’inverse.

Pendant l’examen, il n’arrêtait pas de me jeter des regards de tristesse en voyant ma femme souffrir sur 3/4 de ses tests et palpations. Il répétait sans cesse “poverina”.

Des larmes sont montées, celles qui n’étaient jamais vraiment venues lors de l’accident avaient enfin le droit de sortir.


Mais elles sont passées presque aussi vite.

Je me suis rappelé cette conversation avec ma femme la veille.

Elle avait fait la liste de tout ce qui lui était arrivé comme problèmes dans la vie, pour n’en citer que quelques-uns : accident de moto, intoxication au monoxyde de carbone, perte de bébé, accident de scooter, renversée par une voiture, et récemment une triple fracture du plateau tibial en vélo…

« J’ai pas eu de chance quand même », m’a-t-elle dit.

Oui, c’est vrai. 

Mais on ne peut pas se définir que par le « pas de chance », c’est une pente dangereuse et néfaste.

Il y a aussi cette force, cette résilience. 

Tous ces événements ont servi à quelque chose, ils ont construit son avenir. 

Chaque situation a été transformée en une prise de conscience, un changement de vie… Quelque chose qui l’amène à faire son master aujourd’hui à 53 ans, à notre vie, à la façon dont nous éduquons nos enfants et voyons le monde.

On entend souvent qu’on n’est pas défini par son passé.

Je trouve ça idiot.

Idiot parce que c’est faux pour plein de gens et qu’il ne suffit pas de le dire pour que ça change.

Mais idiot surtout parce que ça n’est pas précis.

On le dit pour éviter que les gens laissent leurs traumas et souffrances définir leur avenir, et c’est une bonne idée en théorie.

Sauf qu’on a alors tendance à mettre ce passé de côté ou à le rejeter, et même jusqu’à faire de ce passé un étendard de victime, de « pas de chance » qui nous définit au présent et nous empêche de construire un autre futur.

Le problème n’est pas que le passé nous définisse, car on n’a pas le choix : le passé nous définit quoiqu’il arrive.

Le problème, c’est qu’on le laisse nous définir de la mauvaise façon.

C’est dans la manière dont on le laisse nous définir qu’est notre responsabilité.

Quand on a survécu à l’horrible, quand on a perdu des êtres aimés qui devraient être encore là, quand on a vécu l’indicible…

On doit réussir à regarder dans le miroir du passé pour qu’il nous renvoie ce qu’on n’a pas assez regardé, ce que parfois on ne veut pas voir pour rester enfermé dans un système si connu et pourtant si désagréable…

On doit réussir à percevoir ce qui est trop souvent invisible chez plein de gens.

Ce qui se cache derrière les cicatrices, les blessures encore ouvertes et les marques du temps.

Pour qu’on puisse se voir pour ce qu’on est vraiment, avec ce qu’on a vécu…

Pour qu’on puisse se lever un matin avec l’envie de vivre heureux pour tous ceux qui ne sont plus là…

Pour qu’on puisse sentir, au plus profond de soi, qu’on mérite de réussir nos projets, d’être heureux, de rencontrer quelqu’un qui nous aime et qu’on aime.

Alors si toi aussi tu t’es dit un jour “j’ai pas de chance”, tu as le droit et c’est normal.

Mais tu n’as pas que « pas de chance ».

Et toutes les personnes qui devraient être encore là, celles qui te manquent, celles que le temps a pris…

Elles te le diraient certainement aussi.

Tu peux choisir d’être définie autrement.

Tu mérites le futur que tu souhaites.

Alors, va.

Ose, essaye, n’aie peur de rien, qu’est-ce qu’il peut bien t’arriver de pire ?