Je décidais d’attaquer.
Je me lançais tête baissée sur le plus balaise du groupe qui harcelait la serveuse au bar.
J’avais toujours rêvé de sauver la princesse en péril.
J’avais tout calculé, l’angle, la vitesse, le point d’impact, l’acolyte que je terrasserai d’un coup de poing ensuite…tout.
À quelques mètres d’une victoire facile, le gros balaise se retourna.
Bizarrement, alors que j’étais lancé à pleine vitesse, il sourit.
« T’es sûr ? » m’avait-on pourtant prévenu.
Un poing gros comme une boule de bowling frappa le coin de ma tempe.
Voilà.
Terminé.
J’étais mort sur le coup.
Encore une fois.
Y’en a marre !
J’adore les jeux de rôles.
J’avais 15 ans et j’avais encore joué mon mage d’1m12 et de 35 kilos tout mouillé en robe violette comme Schwarzenegger dans Conan le Barbare.
Si j’ai toujours aimé le concept du mage, les sorts, la magie à distance, le truc mystérieux, la connaissance, le savoir, la sagesse qu’ils représentent, je n’ai jamais réussi à les jouer.
Je m’ennuie, je trépigne, je fonce dans le tas avec un sort qui aurait du mal à allumer une bougie et je fais pas long feu.
Alors plus tard, je me suis mis à jouer guerrier – moi voir moi taper – et ça allait mieux.
Mais il manquait quelque chose. Je ne l’ai découvert que bien plus tard, en explorant comment je fonctionne, et en utilisant les jeux vidéos pour mieux me connaître. Je vous en parlerai dans une prochaine lettre ou un prochain article, sinon autant faire de cette lettre un livre.
Dans cette lettre, je vous propose de jouer ensemble à un jeu de rôle qui ressemble à ceux auxquels je jouais lorsque j’étais ado.
Le jeu de la vie.
Une façon d’explorer comment les jeux, les films, le storytelling et la création de personnages peuvent transformer nos vies.
Pour cela, 3 étapes.
Étape 1 : le choix de l’archétype
Dans un jeu, la première étape est de choisir une classe de personnage, ce sont des archétypes classiques : guerrier, magicien, soigneur, chasseur, etc.
Ce sont les mêmes que dans la plupart des films médiévaux ou d’heroic fantasy, comme le seigneur des anneaux, game of thrones, et même dans les versions futuristes.
Ces archétypes sont universels et définissent les forces et les faiblesses de votre personnage.
On lui attribue des caractéristiques qui vont le suivre toute sa vie : quelques points en intelligence, un peu en force, en dextérité, en sagesse ou en charisme, les variantes sont infinies.
Les caractéristiques de départ évoluent peu : un magicien ne deviendra jamais un Conan le Barbare, en tout cas pas sans sacrifices importants.
C’est une façon simple d’illustrer les mécanismes d’attention et focalisation : là où on met notre attention, l’énergie va.
Si mon personnage met toute son attention depuis enfant dans sa magie, il y a peu de chances qu’il devienne plus tard capable de manier l’épée à deux mains et de déplacer des montagnes à mains nues.
Plus le personnage pratique ses compétences, plus il progresse. Normal.
Une fois le personnage créé, il ne reste plus qu’à le jouer, comme un acteur jouerait le rôle d’un personnage construit par un écrivain.
Mais comment jouer un personnage si on n’a que quelques caractéristiques chiffrées ?
Si je vous dis que vous êtes grand, fort et que votre compétence est le combat, vous pourriez jouer n’importe quel guerrier.
Mais pour jouer Conan le Barbare, vous devez en savoir plus.
Comment réussir à jouer votre personnage ? L’unique ? Celui qu’on reconnaîtrait entre mille ? Celui qui vous caractérise ?
Il manque l’essentiel.
Son histoire.
Sa vision du monde.
Alors, une fois qu’on a choisi le quoi et le comment (l’archétype et les compétences), il reste donc à choisir le qui.
Étape 2 : l’histoire
Personne ne peut jouer un rôle s’il ne connait pas intimement le personnage qu’il doit incarner.
Plus un acteur aura de précisions sur les intentions et les motivations d’un personnage, plus il réussira à le jouer, à le rendre unique, et surtout, à le faire sortir des clichés et de la masse.
Et ceci, même si on ne révèle jamais ces informations au public.
Un écrivain peut avoir des dizaines de pages sur un personnage qui n’apparaitra que quelques instants au cours du livre.
C’est ce qui permet de créer des dialogues dans lesquels on n’a même pas besoin de dire qui parle.
On le reconnaît aux mots, au ton, au style.
Comment construire un personnage unique et reconnaissable ?
La liste est longue, il faut définir :
- Ses objectifs conscients
- Ses objectifs inconscients
- Sa spiritualité
- Ses croyances
- Ses peurs
- Ses besoins
- Ses désirs profonds
- Ses attentes
- Ses traumas et ses expériences – ceux qu’il a dépassés et ceux encore présents
- Ce qui le met en colère
- Ce qui le met en joie, ce qui lui procure du plaisir
- Ce qui le tient éveillé la nuit
- Ses angles morts : ce que savent ses amis sur lui, mais que lui ne voit pas.
- Ses secrets
- Ce qui lui fait honte, ce qui le met dans l’embarras
- Ce qui le fait se sentir coupable
- Ses passions
- Sa motivation profonde dont il n’a pas conscience
- Qui aurait-il aimé être qu’il ne sera probablement jamais ? Ou pas sans sacrifices importants ?
- etc.
C’est ce qui créé notre identité, nos vulnérabilités, notre unicité.
Et un héros est unique et vulnérable.
Il a des défauts et des qualités, on peut s’identifier à lui, on peut l’aimer et le détester, vouloir lui pardonner et vouloir le punir
Personne ne peut s’identifier à la perfection. Et pour pouvoir jouer le héros, il faut pouvoir s’identifier.
Un héros sans faille ne promet qu’ennui et lassitude.
Et tout héros a un ennemi, un méchant à combattre.
Un mauvais méchant est benêt et détestable, il est juste un « méchant ». On ne comprends pas le sens et les motivations du personnage, c’est irréaliste et ennuyeux.
Un méchant bien construit est un personnage qu’on respecte pour son intelligence, sa présence, ses pensées, on peut même comprendre pourquoi il fait ce qu’il fait et ses motivations.
On les apprécie et les déteste en même temps.
Même les héros apprécient leur ennemi. Ils en ont besoin, ils existent et progressent grâce à eux.
Car un héros n’existe pas sans anti-héros.
Un Sherlock Holmes sans Moriarty ?
Un Aragorn sans Sauron ?
Un Hercule Poirot ou un Colombo sans criminels intelligents ?
Non.
Chaque personnage de l’histoire doit être clairement définit pour que le jeu ait du sens, pour que la quête ait du sens, pour que le jeu ait du sens et qu’on ait envie d’y jouer.
Une fois que le quoi (l’archétype), le comment (les caractéristiques et es compétences) et le qui (son histoire) sont définis, il reste à poser les règles.
Étape 3 : Les règles
Si on sait qu’on joue un jeu, rien n’est grave, rien n’est vraiment important.
On fait des erreurs, on recommence jusqu’à réussir.
On sait qu’on a le droit à l’erreur, qu’on peut recommencer et qu’à la fin on réussira si on s’y investit assez.
Si on meurt, pas grave, on recommence.
On peut même changer de personnage si ça nous chante.
C’est l’avantage des jeux. On sait que c’est pour de faux.
Alors pour rendre notre jeu plus réaliste, rajoutons l’ingrédient miracle.
L’ingrédient qui change tout.
L’ingrédient qui rend le jeu réel.
L’oubli.
Pour qu’un jeu devienne réalité, il faut avoir oublié que c’est un jeu.
Et comme nous avons la liberté de rendre notre jeu parfait, voici les règles de notre jeu :
- Vous avez oublié que vous jouez
- Vous n’avez pas conscience que vous êtes un personnage
- Vous pensez que vous êtes le joueur et que vous avez le contrôle
- Vous pensez que vous êtes libre de vos choix et de vos expériences
C’est comme si le personnage avait été choisi pour vous, et vous n’en connaissez ni l’archétype, ni les caractéristiques et l’histoire.
Le joueur a décidé ce que vous serez et ce qu’il avait envie de faire de vous.
C’est pour ça que dans le jeu de la vie, nous n’avons pas de « sélection de personnages », nous devons les découvrir.
C’est la mission des tests de personnalité comme le MBTI, les Big Five, l’ennéagramme, le processcom, les archétypes de Jung, etc.
Ce sont des grilles de découverte.
Elles permettent d’arrêter de vouloir tout changer chez soi et de mieux comprendre le personnage qui nous a été attribué.
C’est le jeu de la vie.
Le jeu du « Et si ? »
Et si nous avait donné un personnage à jouer ?
Et si on passait notre temps à jouer le mauvais personnage ?
Et si réussir c’était trouver le type de personnage qu’on a à jouer ?
Et si réussir c’était arrêter de jouer et de redevenir le joueur ?
Qu’est-ce que ça changerait ?
Peut-être qu’on commencerait par arrêter de courir vers l’avant et qu’on prendrait le temps de découvrir notre personnage, de l’apprécier, de le comprendre, comme on comprendrait un héros ou un méchant bien construit.
Puis peut-être qu’on pourrait commencer à le déconstruire, pour comprendre comment il fonctionne.
Puis peut-être qu’on pourrait ensuite le reconstruire et devenir le joueur.
Cesser d’être le joué.
Et re-devenir le joueur.
(Re-)créez vos fiches
Le jeu de la vie, c’est se mettre à la place du joueur qui vous a créé et se demander :
- Qui est ce personnage ?
- Quel archétype a été choisi ?
- Quelles sont ses forces ?
- Ses caractéristiques ?
- Quelle est l’histoire de votre personnage ?
- Qui est-il ?
Quand vous avez y répondre, vous devenez libre de jouer comme bon vous semble, vous pouvez définir votre héros de demain, ce personnage exceptionnel, unique et familier, qu’on reconnait et qu’on n’oublie jamais :
- Qui est ce héros qui aura réussi ?
- Qu’a-t-il de différent par rapport au personnage d’aujourd’hui ?
- Que défend-il comme idées ?
- Quelles caractéristiques et compétences ont été mises en avant ?
Et définir aussi ses ennemis, ses anti-héros, ses anti-modèles :
- Contre quoi lutte-t-il ?
- À qui ne veut-il jamais ressembler ?
- Quel ennemi imaginaire ou réel combat-il ? Pourquoi ?
- Quelles sont les forces de ses ennemis ? Quelles forces et qualités mettent-ils en valeur chez le héros ?
- etc.
Ça peut être une bonne idée pour terminer 2022 et commencer 2023.
Je vous recommande d’écrire trois fiches de personnages, un peu chaque jour, comme un journal :
- La première fiche : imaginez ce que « le joueur » a décidé lorsqu’il a créé pour votre personnage. Prenez le temps de l’écrire, imaginez que vous êtes écrivain et qu’un acteur doit pouvoir jouer votre rôle. Quelle fiche vous lui donnez ?
- La seconde fiche : créez vos anti-héros, vos anti-modèles comme évoqué ci-dessus. Un acteur devrait pouvoir jouer votre ennemi à la perfection, le rendre intéressant, puissant et qu’on puisse le comprendre, parfois même l’apprécier sans pour autant faire oublier que votre héros le combat.
- La dernière fiche : imaginez que votre « futur vous » de dans 5 ans pouvait vous écrire sa fiche de personnage, quelle fiche vous donnerait-il ?
C’est un processus qui se fait au fil des jours, idées après idées, découvertes après découvertes.
La démarche est transformatrice.
Les résultats sont impressionnants.
Mais ne vous prenez pas trop la tête, tout ça n’est qu’un jeu après tout.
Bonnes fêtes,
Laurent
ps : si vous pensez que cet email peut intéresser des connaissances, pensez à le partager à rejoindre la liste en les faisant s’inscrire sur le site https://laurentbertin.com. Ils seront inscrit aux emails du vendredi et recevrons la conférence et le lien du canal Telegram.