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Depuis tout petit j’ai souvent entendu qu’on était tous égaux.

Comme j’ai entendu pendant des années « Bertin Crétin ! ».

Cette blague sur mon nom qui l’a rendu insupportable pendant si longtemps.

Crétin parce que je n’étais pas habillé à la mode, je ne comprenais pas qu’on s’intéresse à des trucs aussi futiles que les vêtements.

Crétin parce que je disais ce que je pensais, sans filtre. Personne n’aimait vraiment ça.

Crétin parce que j’étais gentil et naïf, et qu’on pouvait facilement utiliser ça contre moi.

Crétin parce que je n’étais pas comme tout le monde. Souvent seul, dans mon coin, dans mes pensées, à réfléchir et à penser à des trucs dont tout le monde se foutait à mon âge.

Crétin parce que je n’entrais pas dans les cases de la normalité.

Nous ne sommes pas égaux.

Qu’on soit tous traités avec égalité, oui, c’est une belle intention, utopique sans doute, mais les idées utopiques changent le monde.

Mais tous égaux ? Non.

Il n’y a rien de plus inégal que le traitement égal de personnes inégales.

Thomas Jefferson

Cette notion d’égalité m’a fait du mal, et je l’ai vu faire des ravages dans l’estime de soi et les compétences sociales chez les atypiques qui ont l’impression de venir d’une autre planète.

Accepter l’inégalité est ce qui permet de traiter tout le monde avec égalité, de sortir de la colère, du sentiment d’injustice, des reproches, de la critique et de l’isolement.

C’est ce qui permet de mieux s’intégrer dans la société et de voir autre chose que des défauts dans ce qui est nos forces.

Écrire ce billet est difficile.

Parce que j’ai l’impression d’être prétentieux et de me la raconter.

Quand j’en parle, j’ai l’impression de me plaindre, de faire ma victime.

Mais j’ai si souvent vu ces problèmes « d’égalité » et de « normalité » dans mes accompagnements, que je me dis que c’est important.

Comment s’intégrer quand on a cette curiosité sans fin, qui ne demande aucun effort et qui s’entend dire souvent « tu te prends trop la tête » ou « détends-toi, profite de la vie » « arrête de tout analyser »?

Comment s’intégrer aux autres quand on voit au travers des masques et qu’on se demande sans arrêt pourquoi les autres ne le voient pas ? Que ça donne envie d’hurler ?

Comment faire quand ça s’accompagne de cette hyper-sensibilité qui rend plus vulnérable aux critiques et aux commentaires négatifs ? Qui fait se remettre en question sans arrêt ?

Comment arrêter ces mille et une questions qui fusent dans la tête en permanence ?

Comment faire quand cette différence est perçue comme un danger par les autres ? Quand on est pris pour un prétentieux, arrogant, un sale con hautain quand on partage les ressentis de ces différences ?

Ce dernier point est sans doute le plus difficile.

C’est comme les gens beaux qui se trouvent moches. Personne ne les écoute, leurs ressentis sont balayés d’un revers de la main, ce sont des problèmes de « riches ».

Ça renforce la solitude. La colère monte. L’injustice s’enflamme.

On apprend à se taire, à se cacher, on veut rentrer dans le moule, on veut appartenir à la même planète que les autres.

J’ai mis du temps à sortir de ce cercle vicieux.

D’un côté, je voulais être comme tout le monde, j’avais cette fausse humilité qui ne faisait que renforcer le sentiment d’incompétence des autres.

Essayer de convaincre les autres qu’on n’est pas tellement différent n’aide pas à s’intégrer.

Ça renforce le fossé.

Personne ne veut traîner avec quelqu’un qui leur donne l’impression d’être idiots et qui sous-entend qu’en plus c’est leur faute, qu’avec un peu d’effort et de travail ils pourraient le faire aussi.

D’un autre côté, je me trouvais souvent supérieur à plein de gens, et je fuyais ceux qui me paraissaient supérieurs.

Le sens de ma valeur personnelle était basé sur mon intellect, sur mes capacités mentales.

Quand je voyais quelqu’un de plus intelligent, ça m’énervait.

La seule façon d’être heureux et d’éviter l’agacement était d’éviter les personnes plus intelligentes – ou de les rabaisser – ce qui est impossible et limite les possibilités de croissance et d’évolution.

La comparaison vole la joie.

La clé pour en sortir ?

Accepter cette différence.

Accepter cette autre forme d’intelligence.

Accepter que nous ne sommes pas tous égaux et transformer cette colère et cette arrogance en quelque chose d’utile.

Aider, simplifier, enseigner, synthétiser, transmettre des façons de penser, des idées.

En l’acceptant, je suis devenu plus compréhensif, plus tolérant, plus doux, je me suis ouvert à des échanges avec des personnes qui me donnent l’impression d’avoir un cerveau et une intuition qui marchent au ralenti, et je m’y sens bien.

En me comprenant mieux, je comprends mieux les autres, j’ai lâché ces attentes irréalistes sur le monde et les autres, j’ai lâché cette quête d’être le plus intelligent de la pièce.

J’ai lâché cette quête de rendre les autres moins cons quand j’ai réalisé que le con de la pièce, c’était moi.

C’est encore là trop souvent. J’en ai marre.

Parce qu’en vrai, je me sens toujours assez nul.

J’ai une estime de moi qui n’est pas très haute parce que j’ai des attentes élevées sur ce que je peux et dois faire de mes capacités.

Je suis rarement satisfait de ce que je fais et partage.

Dès qu’on me critique, je me sens encore attaqué et vulnérable, j’ai l’impression que je ne vaux plus rien.

Ça me demande un effort important de faire attention aux exigences et aux attentes que j’ai de moi et des autres.

Ça m’est insupportable.

J’en ai honte.

J’ai encore de la culpabilité.

La culpabilité d’avoir fait du mal en allant trop vite, trop direct, trop cash, parce que je crois que tout le monde comprend les multiples sens de ce que j’exprime.

Parce que j’ai cette naïveté de croire que tout le monde préfère la vérité cash à l’hypocrisie de la bienveillance.

Parce que je crois que tout le monde attend comme moi des gens qui me secouent et déjouent ces capacités d’analyse et de rhétorique qui m’aident à cacher mes failles et mes faiblesses.

Si tout le monde ne se reconnait pas dans ce que je décris ici, je crois qu’on est nombreux à avoir ressenti ces pièges de l’ordinaire, de la normalité et de l’égalité à tout prix.

Et je crois qu’on est nombreux à ne pas oser en parler et le partager.

Je l’ai vu des centaines de fois en cabinet et chez les thérapeutes, qui bien souvent viennent à la thérapie pour mieux se comprendre, mieux comprendre les autres, et mettre leurs talents au service de quelque chose de mieux que la frustration et ce sentiment de solitude.

Ce qui m’a aidé, c’est d’arrêter d’essayer de le travailler.

J’étais fatigué, épuisé de lutter contre ma nature.

Ce qui m’a aidé, c’est d’accepter que nous ne sommes pas tous égaux.

Croire qu’on est tous égaux crée des attentes élevées pour soi et pour les autres. Elles mettent la pression aux gens qu’on aime, et ruinent notre estime de soi.

La suite, je laisse Scott Peck qui, dans Au-delà du chemin le moins fréquenté: Le développement spirituel à l’ère de l’anxiété (version anglaise), le raconte beaucoup mieux que moi.

Une femme nommée Jane en est un bon exemple.

C’était une jeune étudiante brillante et belle en deuxième année d’école de commerce qui était venue me voir parce qu’elle était irritable.

Ses rendez-vous étaient ennuyeux. Ses professeurs semblaient pompeux. Ses camarades de classe, même les femmes, lui semblaient remarquablement limités et sans imagination.

Elle n’avait aucune idée du problème, mais elle était assez intelligente pour savoir que quelque chose n’allait pas dans le fait de vivre dans un état d’agacement constant.

Après plusieurs séances à ressasser les mêmes choses, elle s’exclame avec exaspération : « J’ai l’impression que tout ce que je fais ici, c’est me plaindre. Je ne veux pas être une pleurnicheuse ».

« Alors il faut que tu apprennes à accepter ta supériorité », lui ai-je rétorqué.

« Ma quoi ? Qu’est-ce que tu veux dire ? » Jane était abasourdie.

« Je ne suis pas supérieure. »

« Toutes tes plaintes – tes pleurnicheries, si tu veux – sont centrées sur ton évaluation probablement exacte que tes rendez-vous ne sont pas aussi intelligents que toi, que tes professeurs ne sont pas aussi humbles que toi et que tes camarades de classe ne sont pas aussi intéressants que toi », ai-je fait remarquer.

« En d’autres termes, tout ton malheur est lié au fait que tu te sens – et es probablement – supérieure à la plupart des gens.

« Mais je ne me sens pas supérieure », s’est-elle exclamée avec une pointe de désespoir.

« C’est justement le problème. »

« Je ne devrais pas me sentir supérieure. Tous les gens sont égaux. »

« Le sont-ils ? » J’ai arqué mes sourcils.

« Si tu crois que tout le monde est aussi intelligent que toi, alors tu vas être chroniquement irritée quand les gens prouvent qu’ils ne sont pas aussi intelligents. Tu seras constamment déçue par eux quand ils ne seront pas à la hauteur de tes attentes. « 

Les semaines qui suivent sont celles d’un travail atrocement difficile pour Jane, bien que teinté de l’excitation de sentir à contrecœur qu’elle est sur la bonne voie.

C’était tellement plus facile d’être ordinaire.

C’était tellement sûr.

Comment pouvait-elle accepter sa supériorité et ne pas succomber à l’arrogance ? Ne pas s’embourber dans la suffisance ? Si elle était vraiment supérieure, n’était-elle pas alors condamnée à une vie de solitude ?

Et si elle n’était pas ordinaire – si elle était, en fait, extraordinaire – pourquoi ? Pourquoi elle ? Pourquoi a-t-elle été distinguée, choisie ou maudite ? Bien sûr, je ne pourrais jamais répondre à ces questions pour elle.

Mais il était rassurant pour elle que je reconnaisse qu’il s’agissait de questions très réelles et très importantes.

Petit à petit, elle a fini par accepter qu’elle n’était pas ordinaire, qu’elle était à la fois choisie et maudite, bénie et accablée.

Scott Peck

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À propos de Laurent Bertin


Ancien directeur informatique dans une grande banque française, j’ai tout quitté du jour au lendemain pour devenir praticien en hypnose. J’ai développé mon cabinet, suis devenu formateur, co-directeur d’un grande centre de formation pour tout quitter à nouveau et vivre de mon activité grâce à Internet.

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