Depuis les articles précédents j’ai parlé d’attentes et du sentiment de normalité, dans celui-ci, j’aborde ces sujets via l’angle du couple.
Les sources de conflits dans le couple sont souvent liées aux différents types d’attentes.
Les attentes irréalistes, comme s’attendre à ce que l’autre comble tous nos besoins émotionnels ou qu’il soit parfait dans tous les aspects de la relation.
Beaucoup de gens ont tendance à dire qu’ils n’ont pas ces attentes alors qu’en pratique, dans leur attitude, si.
Ça n’est pas ce qu’on pense qui compte, c’est ce qu’on fait et ce qu’on ne dit pas dans ce qu’on fait et dit.
Un exemple pour illustrer comment ces attentes peuvent être cachées.
Un jour, je discutais avec ma femme de ses projets, des études, on parle, je lui donne avec mon tact habituel quelques conseils déguisés en reproches et elle me sort sur un ton très congruent et totalement inhabituel chez elle « De toute façon, tu ne veux pas que je réussisse ! ».
Dans un premier temps, je me suis défendu, je l’ai accusée de dire n’importe quoi.
Puis j’ai écouté.
Je sais que ma femme a une bonne intuition, qu’elle ne sait pas toujours dire pourquoi elle dit ou ressent certaines choses, mais c’est souvent juste.
Alors pourquoi ça serait juste envers les autres et pas quand ça me concerne ? Ça n’a aucun sens.
Je suis donc allé explorer « je ne veux pas qu’elle réussisse », en partant du principe que ce qu’elle avait dit était vrai.
J’ai touché ma peur de l’abandon, la peur qu’elle me quitte, qu’elle rencontre d’autres personnes en faisant ce qui lui tenait à cœur, la peur d’être délaissé si elle trouvait sa voie et des activités qui la comblaient. J’ai touché mon besoin de reconnaissance et d’importance, qui se satisfaisait de sa présence à côté de moi qui réussit à vivre d’un métier qui m’éclate.
J’attendais d’elle qu’elle comble ces failles.
Ça ne se voyait pas, c’était caché dans le sentiment de normalité qui s’était construit sans doute au début de notre relation.
Ça m’a fait beaucoup travailler sur moi, et ça continue encore parce que certains aspects font partie de mes traits de caractère et de mes structures profondes.
Mais comme c’est passé du silence à la conscience, j’y fais d’avantage attention.
Les attentes non communiquées, où on attend que l’autre devine et lise nos pensées, ces « tu aurais du savoir » « tu devrais le voir ».
Les biais cognitifs font qu’on a tendance à penser que ce qu’on attend est évident pour les autres alors que c’est loin d’être le cas, même quand on se connaît depuis des années.
C’est un sentiment de normalité qui pose problème : il est normal que la personne qui nous aime soit capable de lire dans nos pensées et deviner nos attentes et nos besoins.
Ça a l’air vrai au début où tout est beau et joli, où on est en phase et qu’on pense aux mêmes choses au même moment, où on est toujours beaucoup plus attentif à l’autre…
C’est encore un biais, on ne va retenir que les moments de « phase » et pas les autres, car notre cerveau suspend le jugement négatif dans les premiers mois d’une relation (de 1 mois à 2 ans d’après les études).
Les conséquences de ces attentes sont assez incroyables.
Peu de gens communiquent clairement leurs besoins et leurs attentes, les discussions importantes se perdent au début dans le tout magnifique puis plus tard dans les contraintes du quotidien, la vie, les enfants, le travail, l’argent.
Pour pouvoir les communiquer, il faut les connaître, et ça demande un certain travail d’introspection.
C’est difficile, et beaucoup vont choisir la facilité d’exiger – consciemment ou non – que l’autre s’adapte.
Les attentes basées sur des stéréotypes de genre ou de rôle causent des problèmes importants, comme les grands classiques de s’attendre à ce que le partenaire masculin soit le soutien financier de la relation ou que la partenaire féminine soit responsable des tâches ménagères.
On en entend beaucoup plus parler maintenant qu’il y a quelques années, mais ça reste un sujet important et loin d’être simple.
Le conditionnement par la société et l’éducation parentale ne se changent pas en 2 phrases. On touche le rapport à l’argent, à la place dans le couple du féminin et du masculin (c’est la même chose dans les couples homosexuels), au travail, à la philosophie de vie, à la vision du monde.
Si on s’attend à ce que ces attentes stéréotypées changent juste parce qu’on aimerait que ça change, le couple est sans doute voué à l’échec.
Ces changements demandent de revoir la systémie du couple, parfois de la famille, de réorganiser la place des uns et des autres, mais surtout un important travail de déconstruction des représentations masculines et féminines, et ce, pour les deux personnes du couple.
Celui qui se croit le plus « avancé » sur ce sujet, a souvent un important travail à faire, souvent de patience et d’adaptation, sinon on se retrouve dans le dernier type d’attentes qui posent problème.
Les attentes non réalistes en matière de changement, comme s’attendre à ce que notre partenaire change sa personnalité ou ses habitudes de vie pour satisfaire nos besoins (et rapidement).
La plupart des conflits de couple que j’ai pu voir sont issus de cette dernière catégorie d’attentes.
On met sur l’autre une pression du changement. Parfois parce qu’on s’attend à ce que l’être aimé s’adapte rapidement vu qu’il nous aime, c’est l’illustration d’un concept de l’amour défaillant qui ressemble plus aux princesses et aux chevaliers blancs de Walt Disney qu’à la réalité.
Plus souvent, ces attentes arrivent lorsqu’une personne dans le couple est plus « avancée » que l’autre sur un aspect de l’évolution personnelle.
On a tendance à oublier qu’on a mis du temps à changer ou que notre évolution s’est installée sur des années.
Ce qu’on fait naturellement nous paraît simple et on croit que c’est aussi simple pour les autres, c’est la malédiction du savoir : on croit que ce qu’on sait, tout le monde le sait, et que c’est donc facile à faire.
Ces attentes sont difficiles à reconnaître parce qu’elles ont l’air d’être bienveillantes, « c’est parce que je t’aime », « c’est pour ton bien » « tu serais tellement plus heureuse si… », « ça serait mieux pour les enfants… » et toutes ces petites phrases de sauveurs ou de coach qui n’ont pas leur place dans un couple qui veut durer.
La seule chose que l’autre retient est qu’il n’est pas assez bien comme il est pour être aimé, qu’il doit sans cesse s’améliorer et progresser. Tout ceci ajoute une pression en plus de la charge mentale habituelle et et des problèmes personnels que tout le monde a à régler … la solution pour y échapper est souvent la séparation.
Sortir de ces attentes et du sentiment de normalité qu’elles peuvent procurer est un chemin d’évolution personnelle, de travail sur ses liens d’attachement, de l’exploration et de la définition personnelle de ce que veut dire « aimer », « être aimé », et de travailler sa communication et son attention à l’autre.
Dans ma conférence, je dis de demander à l’autre « Comment tu sais que tu es aimé(e) ? » c’est une question qui ouvre une conversation essentielle si on prend le temps d’explorer vraiment les enjeux autour de cette question.
Enfin, apprendre à faire attention aux dangers du sentiment de normalité évite que ces petites attentions qui faisaient la joie du début deviennent normales, et que cette normalité ne laisse de la place qu’à ce qui n’est plus normal : des problèmes.
Les relations affectives sont un sujet complexe et passionnant, mais rien que comprendre et prêter attention aux différentes attentes peut transformer la dynamique d’un couple très rapidement.
